Critik : Sparring
- Daniel Venera
- 7 févr. 2018
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 oct. 2019
Le premier film de Samuel Jouy, avec Mathieu Kassovitz et Souleymane M'Baye

Ma première défaite
J’étais un enfant turbulent, le premier à la bagarre. Mes parents, qui devaient en avoir marre de passer dans le bureau de la directrice, m’ont inscrit dans un club de judo. Je suis tombé sur plus fort que moi. Ça m’a calmé. Mais ce sport ne me convenait pas. J’avais besoin que ça cogne.
J'ai commencé la boxe anglaise en septembre dernier, pour reprendre une activité physique, mais aussi me dépasser. Je voulais donner, me prendre des coups. Combattre. Sauf que la boxe est d’abord un sport physique. Très physique. Il fallait que je forge mon corps : corde à sauter, abdos, pompes, gainage… Puis est venu la technique. Je voyais des gars plus expérimentés faire des sparrings (des entraînements de combat). Ça tapait dur. Après 4 mois d’efforts, le jour tant attendu arriva.
J’ai fait mon premier sparring « à la touche » (le but est de toucher l’adversaire sans y mettre de force). C’était la première fois que je combattais un adversaire. Il devait boxer depuis deux ou trois ans. Comme nous n’avions pas de protège-dent, il me dit que les coups à la tête sont interdits.
Premier round. J’ai l’impression que mon entrainement n’a servi à rien. Je ne sais ni me déplacer, ni donner, ni parer les coups. J’en prends plusieurs au corps. Ma garde est faible. Il faut que je me ressaisisse.
Deuxième round. Il comprend qu’il a affaire à un gars bien plus faible que lui. Il s’amuse. Ça m’énerve. Je n’arrive pas à le toucher. Puis vient le coup qui me désarçonne : il me frappe au visage. Je me suis arrêté net. Non seulement parce qu’il avait enfreint sa propre règle mais parce qu’il avait touché là où ça fait mal. Il s’excuse, mais il continue. OK. Cette règle n’a plus cours, alors je prends cet « entrainement » beaucoup plus au sérieux. Je suis plus agressif. Ma garde est mauvaise, autant passer à l’attaque. Soudain, je le touche à la tempe, un peu trop fort. Je n’avais jamais frappé quelqu’un comme ça.
Troisième round. J’ai piqué son ego, il y va plus fort. Je me prends une chiée de coups. Le nez. La tempe. Je n’ai même plus de garde, ma tête tourne. Je me prends un crochet à la mâchoire, je crois y perdre une dent. Un très bon ami m’avait prévenu : se prendre un coup ça fait mal, même avec des gants.
A la fin du sparring, il s’est excusé. Il m’avait humilié. C’était ma première défaite.
Le truc

Le speaker annonce l’arrivée de Steve. 45 ans, 48 matches, 13 victoires, 3 nuls et 32 défaites. Il rentre sur le ring, accompagné des huées de la foule.
Steve n’a pas LE truc. C’est un piètre boxeur, qui peine à payer les cours de piano de sa fille. Il est persuadé qu’elle peut devenir une grande musicienne si elle pratique tous les jours à la maison. Mais pour ça, il faut acheter un piano. Et un piano ça coûte très cher.
Un jour, Omar, l’entraineur de Tarek, un grand champion, rentre dans la salle de Steve. Il cherche un sparring. Un partenaire d’entrainement pour son boxeur.
"Quelqu’un qui encaisse et qui fait pas chier"
Steve y voit l’opportunité de gagner de l’argent. A ce moment précis, il est sur le ring, la caméra est à l’extérieur. La troisième corde est placée sur son cou. Littéralement « la corde au cou », il s’aventure vers un grand danger.
Steve demande à Omar de lui laisser une chance. L’entraineur accepte.
Sparring-partner est un métier peu connu, loin du faste des grandes compétitions. Les scènes avec Steve, en survêt, au casino de Deauville, écrasé par ses colonnades et tapis rouges, montrent qu’il n’est pas de ce monde.
"C’étaient des bosseurs qui allaient au charbon et se faisaient littéralement massacrer par ceux qu’ils entraînaient." Samuel Jouy
Le premier sparring de Steve contre Tarek, est très dur. Le champion est vif, il esquive tous les coups. Steve est clairement en dessous et Omar le vire. Sauf que Steve est têtu. Il revoit Tarek pour lui dire qu’il a LE truc que n’a pas ce grand champion.

Steve a beaucoup perdu. Tarek a essuyé son premier KO à son dernier combat. Depuis, il a peur et Steve le voit. « Il y a un avant et un après le premier KO ». Tarek doit rentrer au milieu du ring pour gagner son prochain combat. Il doit faire face, sans avoir peur de prendre des coups. Ce que Steve sait faire.
C’est l’une des forces scénaristiques de Sparring. Cet homme que tout le monde croit faible, montre en fait un grand courage en retournant sur le ring après toutes ces humiliations. Ce que très peu de boxeurs peuvent faire. Le film rend hommage à ces « ouvriers » du ring. Des gars qui échouent mais continuent de combattre, pour la passion du sport.
--------------- SPOILER ROOM ---------------
A la fin du stage d’entrainement, Steve se voit proposer un match de gala. Ce sera son 50ème combat. Le dernier. Pour l’occasion, il recontacte son ancien entraineur, Pierrot. Ce personnage est joué par Yves Afonso, qui a tourné pour les plus grands réalisateurs français, mort en janvier dernier. Cette figure de mentor (archétype omniprésent dans les films de sport) a surement manqué à Steve dans sa carrière. Faute de personne qui croyait en lui, il s’est forgé seul.
On est le soir du combat à la fin du 5ème round. Pierrot demande à Steve de tout donner pour le dernier round de sa vie. De boxer comme il a toujours voulu boxer.
6ème round. Steve opte pour une garde très basse, un style plus élégant, semblable à celui de Tarek. Il esquive les coups, danse autour de son adversaire comme un « moustique qui empêche de faire la sieste ». C’est beau à pleurer.
On ne connaîtra pas le résultat final. Mais peu importe, il a gagné son combat. Sa fille peut passer fièrement un concours de piano.
--------------- SPOILER ROOM ---------------
On fait de la vraie boxe, alors remballe ton Rocky

En plus d’avoir un personnage de perdant et de bien exploiter ce « courage dans la défaite », Sparring se distingue des autres films de boxe par le réalisme des combats. On ne peut pas « jouer à la boxe ». L’intérêt que trouvent les spectateurs à regarder ce sport, c’est que justement les boxeurs se mettent en danger. Alors pas de chorégraphie. Les acteurs faisaient de vrais sparrings. Kassovitz s’est pris de sales coups et ses hématomes sont bien réels. Aucun maquillage.
Contrairement à Raging Bull, où la caméra est à l’intérieur du ring, Samuel Jouy la place à l’extérieur, en spectateur.
"Il devait se débrouiller pour avoir ses plans. Nous, on s’en fichait, on faisait nos trucs. Quand on s’était pris un coup, on se retournait vers lui : « Tu l’as eu ? Tu l’as eu ou pas ? ». Parfois il l’avait eu, parfois non", Mathieu Kassovitz
Grâce à ces plans-séquences réalistes, on est investi. J’en ai même eu la boule au ventre par moments.
Sparring déjoue le problème de « l’acteur/chorégraphe». Beaucoup de films avec des performances physiques (combats, cascades ou autres) utilisent : soit des acteurs qui ne savent pas faire la performance (qu’on double alors par des chorégraphes ou cascadeurs) ; soit des chorégraphes qui ne savent pas jouer (Yamakasi est surement l’exemple ultime). Dans les deux cas, on y perd forcément en spontanéité.
Sparring, lui, réussit à avoir :
un acteur qui boxe. Kassovitz fera des mois d’entrainements. C’est pour lui un plaisir de faire ses propres cascades. Il fera même un véritable combat amateur, heureux comme un gosse.
Un champion du monde de boxe qui sait jouer. Et même très bien. Souleymane M’Baye est une révélation.
"Souleymane n’a pas dit oui tout de suite, il craignait de ne pas être assez bon acteur. Je l’ai fait travailler. Au bout de deux jours de tournage, c’était devenu un acteur pro." Samuel Jouy
Cette doublette marche très bien. Kassovitz pouvait donner des indications à M’Baye sur le jeu d’acteur, et M’Baye pouvait diriger les combats.
Il FAUT le voir
Même sans la patte (d’ours) d’un Scorsese sur Raging Bull, sans l’épique d’un Rocky, Sparring galvanise. Il donne envie de donner plus, d’y aller, même pour échouer, de ne plus avoir peur. Courrez-y. Moi je pars pour ma séance du soir.
Comments