Plan-Plan : Raging Bull
- Daniel Venera
- 12 févr. 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 oct. 2019
A l'occasion de la sortie de Sparring, on décortique le générique du classique Raging Bull de Martin Scorsese, avec Robert De Niro. *Cloche de début de round*

C’est quoi Plan-Plan ?
C'est la nouvelle chronique qui analyse des scènes de films ! Dans « Plan-Plan », on décortique le travail du réalisateur pour comprendre COMMENT il nous transmet son message. Attention, l'interprétation est personnelle. Je ne prétends pas détenir la vérité absolue. D'ailleurs, si tu as une autre lecture de la scène, n'hésite pas à le dire dans les commentaires. Chacun a son interprétation et je me ferais un plaisir de lire la tienne !
Pourquoi cette scène ?
J’adore les scènes d’ouverture. C’est un concentré de TOUT ce qu’on verra dans le film : le thème, les personnages et leurs conflits. Parfois même le dénouement !
« C’est un outil puissant pour rendre une atmosphère et suggérer le sens de l’histoire. Vous pouvez visualiser une métaphore pour évoquer, en une seule scène, le Monde extraordinaire du deuxième acte, ses conflits et ses dualités. Cette scène suggérera également le thème, alertera le public sur les obstacles que rencontrent les personnages. » Christopher Vogler dans Le guide du scénariste
Il faut que cette scène soit suffisamment puissante et mystérieuse pour que l’on soit happé dans l’histoire. Je pense même qu’elle est capitale. Combien de films avons-nous adoré dès les premières secondes ?
Aujourd’hui, j’ai choisi le générique de Raging Bull. C’est un plan qui a l’air anodin : un boxeur attend son match.
Sauf que Scorsese, avec sa patte (d’ours), nous montre déjà TOUS les conflits intérieurs de Jake, le personnage principal. Sans dialogues. Sans explications longues et ennuyeuses. Il utilise des formes, couleurs et symboles subtils pour livrer une scène iconique. Et puis, je l’ai choisi parce qu’elle me fout des frissons. Voilà. C’est dit.
ATTENTION : SI TU N’AS PAS VU LE FILM, NE LIS PAS CET ARTICLE.
Tu l’as compris, avec cette scène, je vais parler de l’histoire de Raging Bull. Alors si tu ne l’as pas vu, arrête tout. Va le voir. C’est un chef-d’œuvre. Et au passage, revient lire l’article !
La scène
Intermezzo
Le film commence en musique. C’est l’intermède de l’opéra Cavalleria Rusticana (1890) de Pietro Mascagni.
Dans cette histoire, Santuzza, trompée par Turridu, se venge en apprenant à Alfio que sa femme le trompe avec … Turridu. Scorsese fait écho à cet opéra italien pour l’histoire dramatique de Jake la Motta, émigré italien persuadé que sa femme le trompe. Après avoir appris la nouvelle, Alfio, fou de rage, s’en va tuer Turridu. La scène se vide et l’intermède commence, signe d’un drame imminent.
Sauf qu’ici, Jake se trouve sur le ring. Seul.
Le taureau dans l’arène
La musique monte et le titre apparait : RAGING BULL. Ce surnom renvoit à celui de Tĥatĥanka Iyotĥanka, alias Sitting Bull, « le Bison au repos ». Au contraire, Jake est un enragé.
Très contrasté avec le noir et blanc, le titre est en rouge. De foi chrétienne, Scorsese utilise souvent cette couleur pour peindre les œuvres du diable (la luxure, la vengeance, la haine) mais aussi le sang versé par ses héros christiques. Jake veut trouver son salut (et une punition) dans des combats ensanglantés. Les néons en haut du plan sont des lumières divines. Les cordes du ring seront sa croix.


Deux plans christiques lors du dernier combat contre Sugar Ray Robinson, qui sonne la descente aux enfers de Jake et sa future résurrection
Le rouge est le symbole du taureau. Les trois cordes du ring rappellent un corral et « enferment » notre personnage. Il n’en sort à aucun moment, reclus volontairement dans son espace mental. Il est têtu, persuadé d’avoir toujours raison.
« On peut toujours me donner des conseils, je n’en fais qu’à ma tête » Martin Scorsese
Il sautille sur la corde inférieure. Sa vie ne tient qu’à un fil. Et, dans l’ombre, les flashes de lumières rappellent la brièveté de sa condition. Deux memento mori
cinématographiques qui sont prémonitoires à la chute de Jake.
Slow-motion
Le ralenti vient renforcer l’idée d’enfermement. Jake bouge difficilement, comme s’il était déjà essoufflé (ou etouffé). Chez Scorsese, les personnages voient souvent en slow-motion :
Ils « fétichisent ». Jake posera un regard lent et amoureux sur sa future femme. Idem pour Travis qui verra Betsy comme un ange, dans Taxi Driver
Ils sont paranoïaques. Jake interprète négativement les moindres détails de mouvements. Par exemple, dans la scène où sa femme embrasse amicalement Joey (le frère de Jake), il y verra, au ralenti, un geste adultère. Idem pour Travis qui regardera les gens de son quartier avec méfiance.
Tu peux retrouver ici d’autres scènes de ralenti dans Raging Bull.
Mais, dans notre plan, c’est le spectateur qui voit au ralenti. Est-ce que Scorsese veut « fétichiser » Jake, pourtant bourré de défauts ? Peut-être. C’est une brebis égarée de Dieu qui fascine par son combat intérieur.
Shadow Boxing

Jake est une ombre en noir et blanc. En guise d’échauffement, il fait du shadow boxing. Littéralement « boxe de l’ombre », il s’agit de combattre un adversaire imaginaire.
Au premier cours de boxe, le coach m’a demandé de faire du shadow face au miroir. Les coups que tu donnes, c’est à toi-même. Les coups que tu pares, que tu esquives, c’est les tiens. L’adversaire c’est toi.
Jake La Motta combat ses démons intérieurs. Bien qu’il soit seul sur le ring, il reste dans son coin. Ce ne sera pas un affrontement entre deux boxeurs, mais le combat intérieur d’un seul homme. Dans son shadow, on a même l’impression que les uppercuts le frappent au visage. Il s’autodétruit.
Le projet de Raging Bull se lance pendant une époque sombre de Scorsese. En plein conflit intérieur, il s’autodétruira avec des drogues dures. C’est à l’hôpital, après un bad trip, qu’il sera sauvé par Robert De Niro qui lui demandera de faire Raging Bull
« J’étais simplement mal à l’aise avec moi-même, avec la personne que j’étais et que j’essayais d’être. Est-ce que je m’efforçais d’être un metteur en scène de cinéma ou un cinéaste ? Un metteur en scène à la manière hollywoodienne ou un cinéaste dans le style européen ? Je ne rentrais dans aucune case. D’ailleurs, c’est toujours le cas. » Martin Scorsese
Boxing Bell
Pour aller plus loin, je vous recommande le livre Conversations avec Martin Scorsese, où Richard Schrinkel discute avec l’ami Marty de son enfance, de TOUS ses films jusqu’à Shutter Island et de son travail de réalisateur. C’est bourré de contenus, de secrets de tournage et c’est très fluide.
Je vous recommande aussi deux chaînes YouTube injustement méconnues qui ont décortiqué deux séquences d’un autre chef d’œuvre de Scorsese, Taxi Driver :
DODprod, qui fait des analyses longues et riches de séquences
Arnaud Beaudry, qui a bossé sur l’émission AFPB (l’analyse filmique pour les boloss) d’Allociné et qui fait aussi des critiques de films pornos (c’est assez rare chez les vidéastes pour le signaler).
Et toi ? Qu’est-ce que t’as pensé de Raging Bull ? De cette scène ? Si tu veux que je décortique une scène de film pour le prochain « Plan-Plan », dis-le-moi en commentaire !
Merci !
*Cloche de fin de round*
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